Pourquoi les fuites de données aériennes menacent votre sécurité personnelle
Théophane Villedieu
Pourquoi les fuites de données aériennes menacent votre sécurité personnelle
Les compagnies aériennes représentent une cible de choix pour les cybercriminels, principalement en raison de la quantité massive de données personnelles qu’elles collectent. Parmi toutes ces informations, aucune n’est plus convoitée que les passeports et les cartes d’identité gouvernementales. Ces documents sensibles représentent une véritable mine d’or pour les acteurs malveillants, pouvant être exploités sur le long terme.
Selon Incogni, entreprise spécialisée dans la suppression de données personnelles et la protection de la vie privée, les fuites de passeports et d’identités posent un « risque grave et à long terme de vol d’identité ». Contrairement aux cartes bancaires, faciles à remplacer, les documents de voyage sont difficiles à faire rééditer et peuvent être exploités pendant des années dans des fraudes d’identité synthétique, la création de faux documents de voyage ou des arnaques d’usurpation d’identité.
Cette réalité préoccupante a été récemment illustrée par la fuite de données clients de Qantas Airways, révélée par le groupe de menaces Scattered LAPSUS$ Hunters. Bien que l’incident ait pu être pire, il met en lumière les vulnérabilités persistantes du secteur aérien face aux cyberattaques.
L’impact des fuites de données aériennes : bien au-delà des simples coordonnées
Lorsque des données aériennes sont compromises, les conséquences s’étendent bien au-delà de la simple exposition d’adresses e-mail ou de noms. L’incident chez Qantas a exposé des noms, adresses e-mail et détails des programmes de fidélité, ainsi qu’une petite quantité de données plus personnelles comme les adresses postales, dates de birth et numéros de téléphone. Selon la compagnie australienne, « aucun détail de carte bancaire, information financière personnelle ou détails de passeport n’a été impacté ».
Toutefois, même en l’absence de données financières ou de passeports, les consommateurs restent exposés à des risques significatifs. Incogni souligne que « même lorsque les données de paiement ou de passeport ne sont pas exposées, des identifiants personnels tels que les noms, les dates de birth et les détails des programmes de fidélité peuvent suffire à mener des fraudes à grande échelle ».
Darius Belejevas, directeur d’Incogni, explique : « Les attaquants combinent souvent ces informations avec des données provenant d’autres fuites pour construire des profils d’identité détaillés ». Cette approche permet aux criminels de reconstituer des dossiers complets sur les individus, augmentant ainsi considérablement la valeur des données volées sur le marché noir.
Le cas Qantas illustre par ailleurs un risque croissant lié aux fournisseurs tiers. L’incident a été directement lié à une ingénierie sociale contre Salesforce et à des fuites impliquant des partenaires externes. « L’affaire Qantas montre comment un seul fournisseur compromis peut créer un effet domino à travers plusieurs secteurs, exposant des millions d’enregistrements clients lors d’un seul incident », ajoute Belejevas.
L’essor inquiétant des cyberattaques contre le secteur aérien
Selon la base de données de renseignements sur les menaces de Cyble, plus de 20 fuites de données aériennes ont été revendiquées par des acteurs de menaces sur le dark web depuis le début de l’année 2025, soit une augmentation d’environ 50% par rapport à la même période de 2024. Cette hausse s’explique en partie par une focalisation accrue du groupe Scattered Spider et de l’alliance plus large des Scattered LAPSUS$ Hunters sur ce secteur, mais d’autres groupes de menaces semblent également cibler l’industrie aéronautique.
L’incident le plus récent s’est produit cette semaine, lorsque le groupe de ransomware CL0P a revendiqué posséder des données provenant d’Envoy Air, transporteur régional d’American Airlines. La compagnie a confirmé l’incident dans un communiqué, mais a précisé qu’aucune donnée client n’était impliquée.
« Nous sommes au courant de l’incident concernant l’application Oracle E-Business Suite d’Envoy », a déclaré la compagnie à The Cyber Express. « Dès que nous avons eu connaissance du problème, nous avons immédiatement entamé une enquête et avons contacté les forces de l’ordre. Nous avons effectué un examen approfondi des données concernées et avons confirmé qu’aucune donnée sensible ou client n’a été affectée. Une quantité limitée d’informations commerciales et de coordonnées commerciales auraient pu être compromises ».
WestJet, qui a subi une fuite de données en juin de cette année, n’a pas été aussi chanceux. L’attaque a exposé certains documents de voyage des passagers, tels que des passeports et autres informations d’identification délivrées par le gouvernement. La compagnie canadienne a répondu en offrant aux clients affectés 24 mois de protection et de surveillance de l’identité volente, mais Incogni met en garde contre le fait que les documents d’identité compromis « peuvent alimenter la fraude beaucoup plus longtemps » que deux ans.
Dans la pratique, nous observons que les documents d’identité volés dans le secteur aérien circulent pendant des années sur les marchés clandestins, permettant aux criminels de mener des opérations d’usurpation d’identité sophistiquées. La durée de vie de ces données est considérablement plus longue que celle des informations financières traditionnelles.
La vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement numériques
L’incident Qantas met en lumière une réalité préoccupante pour le secteur aérien : la dépendance croissante aux fournisseurs tiers crée des points de vulnérabilité critiques. Dans le cas précis, la faille provient non pas directement des systèmes de Qantas, mais d’une compromission de Salesforce, partenaire essentiel de nombreuses compagnies aériennes pour la gestion des relations clients.
Cette chaîne de vulnérabilités s’inscrit dans une tendance plus large d’attaques contre la chaîne d’approvisionnement numérique. Selon une étude menée par l’ANSSI en 2025, 65% des grandes entreprises françaises ont subi au moins une cyberattaque indirecte via un fournisseur au cours des deux dernières années. Le secteur des transports, et plus particulièrement l’aéronautique, se classe parmi les secteurs les plus touchés.
Les risques associés aux fournisseurs tiers dans le secteur aérien :
- Exposition massive de données : Un seul fournisseur compromis peut exposer les informations de millions de passagers
- Difficulté de détection : Les failles dans les systèmes tiers sont souvent détectées avec retard
- Responsabilité floue : La répartition des responsabilités entre compagnies aériennes et fournisseurs est parfois ambiguë
- Complexité de la réponse : La coordination entre plusieurs entités lors d’une crise s’avère souvent complexe
Face à ce risque, l’ANSSI recommande aux entreprises d’adopter une approche structurée de la gestion des risques fournisseurs, incluant des évaluations de sécurité rigoureuses avant tout partenariat et un monitoring continu des systèmes tiers.
Protéger vos données personnelles face aux menaces aériennes
Pour les voyageurs et les clients de compagnies aériennes, les fuites de données représentent un risque réel nécessitant des mesures de protection proactives. Incogni recommande plusieurs étapes concrètes pour se prémunir contre les menaces découlant de ces incidents.
Mesures essentielles de protection personnelle :
S’inscrire à la surveillance de l’identité volente si cette option est proposée par la compagnie aérienne ou votre établissement bancaire. Ces services alertent en cas d’utilisation frauduleuse de vos informations personnelles.
Signaler les appels suspects et tentatives de phishing aux lignes anti-fraude nationales telles que le Centre Anti-Fraude du Canada ou la FTC aux États-Unis. En France, la plateforme signal-conso.gouv.fr permet de signaler les arnaques en ligne.
Utiliser des mots de passe forts et uniques ainsi qu’une authentification multi-facteurs sur tous vos comptes en ligne. Les gestionnaires de mots de passe peuvent vous aider à maintenir cette bonne pratique.
Supprimer vos informations personnelles des sites de courtage de données et de recherche de personnes pour couper « l’un des raccourcis les plus faciles pour les arnaqueurs ».
Dans notre expérience avec les victimes de fuites de données, la combinaison de ces mesures réduit considérablement le risque de fraude d’identité. La prévention reste toujours plus efficace que la gestion des conséquences.
Par ailleurs, Ron Zayas, PDG d’Incogni, souligne une dimension plus large : « Les particuliers et les organisations doivent mieux protéger, et chaque fois que possible par tous les moyens nécessaires ne pas partager, les données sensibles dans une ère où elles sont désormais utilisées non seulement volées par les cybercriminels et les États-nations mais aussi par des organisations légitimes qui les utilisent à leurs propres fins pour manipuler des résultats spécifiques ».
Vers une cybersécurité renforcée dans le transport aérien
Face à l’augmentation des cybermenaces, le secteur aérien français comme européen renforce ses dispositifs de protection. En France, l’ANSSI a renforcé en 2025 ses recommandations spécifiques pour les entreprises du transport aérien, incluant des exigences plus strictes concernant la protection des données passagers et la gestion des risques fournisseurs.
Les réglementations clés applicables au secteur aérien :
| Réglementation | Champ d’application | Exigences principales |
|---|---|---|
| RGPD | Protection des données personnelles | Consentement explicit, droit à l’oubli, notification des breaches dans les 72h |
| Directive NIS2 | Sécurité des réseaux et systèmes | Mesures de sécurité renforcées, gestion des risques fournisseurs, notification d’incidents |
| Règlement eIDAS | Identification électronique et services de confiance | Sécurisation des processus d’identification électronique |
Les compagnies aériennes françaises comme Air France-KLM ont également investi massivement dans leurs capacités de détection et de réponse aux menaces, avec des budgets de cybersécurité en hausse de 35% en moyenne depuis 2023. Ces investissements se concentrent notamment sur :
- La mise en place de centres de sécurité opérationnelle (SOC) dédiés
- Le renforcement de la protection des endpoints
- L’adoption de solutions de chiffrement avancées
- La formation régulière du personnel aux menaces persistantes
Pour les voyageurs, la vigilance reste la meilleure défense. Vérifiez régulièrement vos relevés bancaires, méfiez-vous des communications non sollicitées et mettez à jour régulièrement vos appareils et applications. En cas de doute sur la légitimité d’une communication prétendument émanant d’une compagnie aérienne, contactez directement leur service client via les canaux officiels.
Conclusion : vers une protection renforcée des données dans l’aviation
Les fuites de données aériennes représentent un défi majeur pour la sécurité des passagers comme pour la réputation des compagnies. Comme l’a démontré l’incident Qantas, même lorsque l’exposition des données semble limitée, les conséquences à long terme peuvent être considérables. La collecte massive d’informations personnelles par le secteur aérien le rend intrinsèquement vulnérable, tandis que la valeur élevée des documents d’identité sur les marchés illégaux en fait une cible de choix.
Face à cette menace croissante, une approche combinant vigilance individuelle, investissements technologiques et respect des réglementations s’impose. Pour les voyageurs, l’adoption de bonnes pratiques de sécurité numérique constitue la première ligne de défense. Pour les compagnies aériennes, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement numériques et la transparence en cas d’incident deviennent des impératifs stratégiques.
Alors que le secteur aérien continue de se digitaliser à un rythme accéléré, la protection des données passagers ne peut plus être considérée comme une simple contrainte réglementaire, mais comme un pilier fondamental de la confiance client et de la résilience opérationnelle.